Le portfolio du doctorant, mode d’emploi en 8 questions
Par Marine Dessaux | Le | Doctorat
Depuis l’arrêté sur la formation doctorale de 2016, les doctorants doivent constituer un portfolio en vue de leur soutenance. L’arrêté pose question aux écoles doctorales comme aux doctorants : quelles sont les attentes, à quoi sert ce CV étoffé, comment s’y prendre ? La réponse par Fabien Canolle, enseignant-chercheur, qui s’est penché sur question de la professionnalisation des jeunes docteurs, et Lucie Denis, doctorante.
Le 25 mai 2016 a été promulgué l'arrêté fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat. Il contenait une nouveauté : le portfolio du doctorant.
Deux experts et utilisateurs présentent, pour Campus Matin, un mode d’emploi de ce nouvel outil : Lucie Denis, doctorante en sciences de gestion à l'Université Lyon 3 Jean Moulin, au sein d'iaelyon School of Management et du laboratoire Magellan et Fabien Canolle, maître de conférences en sciences de gestion à Grenoble IAE (Université Grenoble Alpes) qui a réalisé ses travaux de recherche doctorale sur la professionnalisation des jeunes docteurs. Une thèse Cifre menée avec le cabinet RD2 Conseil, dirigé par Laurent Masscheleyn.
1. À quoi sert le portfolio ?
Fabien Canolle : Le portfolio provient du monde artistique. Il s’est progressivement diffusé, sous différentes formes (notamment numérique avec le e-portfolio), a pris des significations et fonctions variées, dans les sphères sociales et professionnelles. Il est très utilisé dans les sphères éducatives, comme pratique réflexive d’évaluation des compétences, qu’il s’agisse d’étudiants ou d’enseignants.
Dans le monde de l’entreprise, il a aussi pu être expérimenté dans des « démarches » intéressant les employeurs comme les services de l’emploi. En sciences de gestion, on parle du « portfolio worker » pour désigner la démarche d’assemblage de compétences en fonction d’attentes des employeurs, démarche s’intégrant à des plans de développements personnels et de carrière.
Le mot d’ordre est donc la verbalisation de l’action, de ce qui est fait en thèse, comme vecteur d’une prise de conscience sur les compétences acquises ou en cours d’acquisition et valorisables à un employeur potentiel en fonction de ses attentes.
2. Pourquoi le créer ?
C’est MA vitrine et un outil de motivation
Lucie Denis : Pour moi, ça a été avant tout un outil d’autoréflexivité à un moment critique de la thèse où j’avais besoin de me remémorer le chemin parcouru durant ces deux années et demie. C’est un accomplissement opérationnel relativement court en comparaison d’une production et donc très satisfaisant lorsqu’il est enfin mis à jour : c’est MA vitrine, celle où je m’exerce à me construire mon identité de jeune chercheur, d’enseignante junior et c’est un outil de motivation, car le portfolio me rappelle les compétences que je pense avoir développées.
Il est vrai que le CV académique reste demandé pour postuler à l’université. Toutefois, je reste convaincue qu’à l’ère du numérique, disposer d’un site bien à soi qui pourrait un jour servir d’espace de blogging et de vulgarisation scientifique est tout à fait pertinent.
3. À quelles questions répond-il ?
Fabien Canolle : On peut se poser quelques questions clés pour créer son portfolio et le rendre utile en fonction de son parcours professionnel désiré : en quoi suis-je compétent dans ma recherche ?
On peut formuler cette question en plusieurs parties :
- Quand suis-je considéré comme compétent ?
- Qu’est-ce qui a amené à l’être ? de quoi ai-je eu besoin pour le devenir ?
- Quand j’ai réussi une manipulation en laboratoire, ou que j’ai dégagé des résultats lors d’une observation, qu’est-ce qui m’a rendu compétent ?
Un effort pour schématiser le travail accompli
Lister progressivement les activités importantes menées pendant la thèse ne suffit pas. Dans quel contexte ont-elles été menées ? Quel était l’objectif, de quelles ressources avais-je besoin, comment les ai-je utilisées, qui était impliqué dans ce travail ? Le portfolio peut inclure les réponses à ces questions en les illustrant.
Un effort peut aussi être fait pour schématiser le travail accompli. Dans les portfolios créés, j’ai pu voir par exemple des schémas en forme de réseaux d’acteurs essentiels à un projet professionnel, ou encore des listes de compétences illustrées (photographies du terrain, expérimentations…).
Un conseil : « sortir du CV académique »
« Le portfolio du doctorant pour moi reste l’endroit idéal pour sortir du CV académique dans le fond que la forme, explique Lucie Denis. Il me semble utile de valoriser sa recherche doctorale par des mots-clés visibles dès la page d’accueil. En définitive, il s’agit d’un support illustré pour générer la discussion avec un employeur. »
4. À quel moment le réaliser ?
Lucie Denis : C’est en troisième année, en préparation de l’étape des candidatures que je me suis lancée dans la conception d’un CV super étoffé en ligne : le portfolio. L’école doctorale d’économie-gestion suggérait pourtant dès ma première année de penser à conserver un dossier de preuves de participation aux événements de la thèse, d’évaluation des enseignements réalisés, des séminaires de formation suivie aussi bien internes, qu’externes…
Ce sont autant de démonstrations des compétences scientifiques et transversales que le doctorant souhaite valoriser.
5. Quelle organisation tout au long du doctorat ?
Lucie Denis : J’ai pu gagner du temps dans la production de cette vitrine de mes réalisations et compétences liées au doctorat, car j’avais pensé à conserver chaque année les évaluations sur les plateformes de ma composante d’enseignement, mais aussi à poster régulièrement sur les réseaux des photographies des événements ponctuant la vie du thésard comme ma participation à des conférences dans mon domaine de référence, tutorat doctoral, séminaires de formation, engagement institutionnel comme coreprésentante des doctorants à l’école doctorale d’économie-gestion et d’accompagnement d’étudiants étrangers sur le campus de Lyon.
6. Quelles ressources mettre en valeur pour un futur employeur ?
Fabien Canolle : Il est ainsi possible de passer d’une liste des activités et ressources utilisées à une narration orientée vers un futur idéal, pourquoi pas en les mettant en scène dans une histoire racontée avec des verbes d’action.
C’est l’exercice que j’ai demandé à des doctorants lors d’une expérimentation. Je les avais rencontrés deux fois en amont, pour discuter de leur histoire, de leurs motivations « pour, pendant et après la thèse », de ce qu’ils font dans leur recherche, ce qu’ils utilisent au quotidien, les personnes avec qui ils interagissent et les différentes communautés professionnelles rencontrées.
7. Quel fil tisser entre parcours doctoral et projet professionnel ?
Fabien Canolle : La formation doctorale est intense, mais les doctorant(e)s n’y entrent pas vierges d’une histoire ni de relations avant la thèse (écoles, familles, amis, autres activités en parallèle, etc.). Cela a des conséquences pendant la thèse et après. Le portfolio peut intégrer ces dimensions.
Un effort supplémentaire est indispensable pour établir des passerelles entre le projet scientifique et le projet de vie (professionnel et personnel) :
- Comment puis-je relier, par exemple, mon investissement dans une association artistique en dehors de ma thèse avec ce que je fais pendant la thèse ?
- Comment ma passion pour la science-fiction et les planètes interagit-elle avec ma thèse en géologie ?
- Comment ma passion pour la musique m’aide-t-elle à être un bon chercheur en acoustique ?
- Cela a-t-il une influence sur mes choix, ma manière de travailler (d’être compétent), et les réseaux utiles à l’après-thèse ?
En cela, le portfolio peut lister toute activité annexe à la recherche doctorale, en montrant comment elles dialoguent avec la thèse (par exemple les formations transversales).
8. Quelles bonnes pratiques pour un e-portfolio ?
Lucie Denis : J’ai démarré et constitué, à tâtons, mon portfolio, en reprenant un modèle que j’ai appris à m’approprier. J’ai choisi de le réaliser entièrement en anglais : dans l’optique de valoriser mes recherches à un public plus large et de constituer des collaborations potentielles sur des articles avec des chercheurs étrangers. Cela me laisse aussi la possibilité de réaliser un postdoctorat à l’étranger.
Plus j’avançais dans sa constitution, plus j’ajoutais de nouvelles pages. Voici les onglets (traduits) que vous pouvez y trouver pour le moment, car une actualisation régulière me semble nécessaire :
- Recherche ;
- Enseignement ;
- Formation (doctorale) ;
- Activités institutionnelles ;
- À propos de moi ;
- Contact ;
- Conférences ;
- Dissémination de la recherche ;
- Financements obtenus.
C’est seulement dans la section « À propos de moi » que je me suis permise de noter mes engagements plus indirectement liés à mon parcours de doctorante, mon projet professionnel et mes activités annexes. Je pourrais peaufiner ce portfolio en ajoutant les compétences que je souhaite développer, dans quel cadre professionnel, mettre en avant mon réseau et j’envisage de positionner les compétences acquises dans un tableau en précisant chaque fois le niveau estimé d’acquisition pour chacune d’elle.
Pour consulter le portfolio de Lucie Denis, c’est ici.
Trois conseils supplémentaires
Fabien Canolle recommande de respecter trois points phares réaliser son portfolio.