Numérique

« J’ai tourné dans l’ESR mais j’ai aussi un peu avancé ! », l’interview décalée de Simon Larger

Par Marine Dessaux | Le | Équipements et systèmes d'informations

Il a « tourné » (et avancé !) dans l’ESR tout au long de sa carrière. Pour cela, il s’identifie à… une roue. Simon Larger est devenu directeur de l’Agence de mutualisation des universités en mars, une maison qu’il connait bien et avec laquelle il a le sentiment de faire corps. Il partage son parcours, ses inspirations et ses compagnons de route avec Campus Matin.

« J’ai le sentiment de faire corps avec l’Amue depuis son origine », déclare Simon Larger. - © D.R.
« J’ai le sentiment de faire corps avec l’Amue depuis son origine », déclare Simon Larger. - © D.R.

Surtout ne lui demandez pas de « dispatcher » ! Directeur de l’Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue) depuis mars 2023, Simon Larger se prête au jeu de l’interview d'été décalée de Campus Matin.

Une personnalité inspirante pour vous ?

Alain Abécassis était inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche. - © CPU
Alain Abécassis était inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche. - © CPU

Simon Larger : Il y en a deux. La première, c’est Alain Abécassis, ancien inspecteur général et qui fut notamment délégué général de la Conférence des présidents d’universités et chef de service au ministère.

Nos chemins se sont croisés tout au long de ma carrière : son équilibre, sa culture, sa créativité et son humour en ont fait pour moi une personnalité vraiment exemplaire, dans tous les sens du terme. Son départ a été un moment très dur pour toute la communauté de l’ESR [il est décédé des suites d’un cancer en mars 2022]. Nous avons donné son nom à l’une de nos nouvelles salles de réunion, au 2 rue Albert Einstein à Paris. C’est bien peu, mais c’était le minimum que nous puissions faire.

La seconde, c’est Marie-Hélène Granier-Fauquert, ancienne directrice générale adjointe au conseil régional d'Île-de-France. Elle était pour moi aussi inspirante qu’Alain, brillante voire érudite, alliant technicité et poésie avec un talent incroyable ; nos chemins s’étaient croisés aussi à de nombreuses reprises, et nous avons fini par faire un brin de route ensemble. J’ai pu en effet travailler très étroitement avec elle quelques années qui furent un véritable apprentissage pour moi, dont je mesure la valeur a posteriori.

Si vous étiez un établissement ou une organisation, vous seriez  ?

Question trop facile : je serais l’Amue ! Blague à part, j’ai le sentiment de faire corps avec cette agence depuis son origine. Elle incarne avec précision les valeurs qui sont les miennes : le partage (des pratiques, des expertises, des outils), l’optimisation de la gestion et la professionnalisation du pilotage de l’action publique, la transformation digitale.

L’Amue a su dépasser ses anciennes lignes de fractures.

Elle a su dépasser ses anciennes lignes de fractures, qui l’éloignaient de sa finalité de partage le plus large possible (rapprochement avec l’association Cocktail, travail avec le CNRS…) et elle a su rénover son approche des solutions qu’elle distribuait (usage de code ouvert et gratuit au lieu de logiciels propriétaires, co-construction avec les adhérents au lieu de marchés avec des cabinets de consultants, extension aux organismes de recherche avec le déploiement du logiciel de gestion financière Sifac+ à l’Inserm et l’Inrae).

Je suis du reste convaincu que la mutualisation entre établissements de l’ESR pourrait aller beaucoup plus loin, fédérer les acteurs du numérique et rendre l’écosystème plus lisible, dans une vision utilisateur (qu’attendent les établissements de leur écosystème numérique ?).

Si vous étiez une technologie ?

La technologie quantique me paraît majeure aujourd’hui. La mesure de son impact réel fait certes encore débat, mais, en 2019, le processeur quantique de Google, Sycamore, a réalisé une tâche informatique en 200 secondes. Selon ses concepteurs, dans un article publié dans Nature, cet exercice prendrait 10 000 ans à un supercalculateur à la pointe de la technologie.

Vers une forme possible de « sobriété énergétique du calcul ».

Plus tard, la multinationale spécialisée en informatique, IBM, a contesté ce chiffre, en disant que la tâche ne prendrait que 2,5 jours sur un système classique. Entre 10 000 ans et 2,5 jours, il y a encore du travail académique pour quantifier les choses, mais les espoirs sont immenses, notamment vers des découvertes et vers une forme possible de « sobriété énergétique du calcul ».

En revanche, je ne peux pas dire que cette technologie me ressemble. Si j’étais une technologie, je serais sans doute quelque chose de plus simple, comme la roue par exemple. J’ai toujours été fasciné par les inventions de la Mésopotamie antique : l’écriture, l’agriculture, la ville, la roue…

Cette dernière me semble cardinale et me ressemble dans le sens où elle fait la synthèse entre deux mouvements : un mouvement circulaire et un autre linéaire, la roue tourne sur elle-même tout en avançant. De la même manière, j’ai tourné dans l’ESR depuis le début de ma carrière, mais j’ai aussi un peu avancé. La seule différence avec moi, c’est que la roue peut reculer !

L’innovation digitale de l’année  ?

L’Amue a emménagé dans les locaux du Hcéres à Paris cette année. Elle possède aussi un site à Montpellier.  - © Hcéres
L’Amue a emménagé dans les locaux du Hcéres à Paris cette année. Elle possède aussi un site à Montpellier. - © Hcéres

Je sais que ChatGPT est sorti en 2022, mais je ne résiste pas à faire de l’intelligence artificielle « le » sujet de l’année. C’est un levier de transformation majeur de la société dans son entier, qui concerne et concernera de plus en plus l’ESR, dans son cœur de métier (accompagnement des compétences et métiers d’avenir, gestion de la tricherie, du plagiat, etc.) comme dans sa gestion (contrôles de pièces comptables ou administratives, exécution de tâches sans grande valeur ajoutée, etc.).

Elle ouvre aussi sur de nombreuses innovations à fort potentiel d’évolution pour les métiers de l’Amue : IA conversationnelle dans le support aux utilisateurs par chatbot, IA dans l’indexation des documentations techniques ou fonctionnelles, IA dans le code, le no code/low code [développer des projets numériques sans avoir à écrire de code, ou très peu], qui sert aussi les finalités du numérique responsable.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que l’Amue se positionne — avec l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes) et le Centre informatique national de l’enseignement supérieur (Cines), nos plus proches partenaires numériques sur le territoire Montpelliérain — dans un projet de l’Agence nationale de recherche porté par l’Université de Montpellier et la métropole, avec le soutien de la Région et de nombreux industriels, dédié au sujet de l’Intelligence artificielle. Nous croisons les doigts…

Un mot, une expression que vous ne voulez plus entendre ?

« Dispatcher. » Ce n’est pas tant que j’ai un problème avec l’usage de l’anglais, je le parle couramment, grâce aux origines galloises d’une partie de ma famille maternelle. Ni même un problème avec la francisation de certains mots, surtout lorsqu’ils n’ont pas d’équivalent en Français. Mais là, il y a un joli mot français, « répartir », et je ne vois vraiment aucune raison de dire autre chose.

La phrase que vous vous répétez devant votre miroir  ?

Je ne me regarde jamais dans les miroirs… Je crois que je n’ai jamais aimé mon reflet. Si je me croisais du regard, je pense que je me dirais : « Mais qui êtes-vous ? ». Toutefois, je vous rassure, je ne vais pas me le répéter sans arrêt !

Une lecture ou un visionnage ou une écoute à conseiller ?

Pour l’été, aux amoureux des polars, je recommande Les Poupées, du Français Alexis Laipsker (éditions Michel Lafon, 2022). Dès les premières pages, on est accroché aux personnages et à l’intrigue, et cela ne vous lâche pas jusqu’au dénouement. Attention toutefois si vous êtes un peu sensible… à ne pas mettre entre toutes les mains !

Son parcours

Titulaire d’une maîtrise de droit public (1997) et d’un DESS d’administration publique (1998) de l’Université Paris Nanterre, Simon Larger débute sa carrière en 2000 comme chargé de mission à l’Amue.

En janvier 2010, il devient directeur financier de l’Université d’Évry, puis, en septembre 2012, directeur général des services de l’Université de Versailles Saint-Quentin. En juin 2014, il intègre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en tant que chef du département de la stratégie patrimoniale à la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip).

En juillet 2018, il rejoint la Région Île-de-France, comme directeur adjoint du pôle « Tresor » (transfert, recherche, enseignement supérieur et orientation). Simon Larger est directeur de l’Amue depuis le 1er mars 2023.