Numérique

IA génératives : une année de choc pour l’ESR

Par Nicolas Chalon | Le | Pédagogie

Cet article est référencé dans notre dossier : Edtechs, le contrat de confiance (enfin ?)

Un an après un pavé dans la mare nommé ChatGPT, les IA génératives continuent de chambouler l’enseignement supérieur. Celui-ci réfléchit, partagé entre la nécessité de les encadrer et l’impératif de s’en servir.

Plusieurs établissements du supérieur ont d’abord interdit l’usage de ChatGPT à son apparition. - © D.R.
Plusieurs établissements du supérieur ont d’abord interdit l’usage de ChatGPT à son apparition. - © D.R.

Retour en janvier 2023. Des écoles municipales new-yorkaises à Sciences Po Paris, la réaction originelle de nombreux établissements face à cette intelligence artificielle générative révolutionnaire fut… la panique. En ligne de mire, l’arme de fraude (effectivement) massive d’un tel outil dans un système d’évaluation encore largement basé sur les travaux écrits.

« Oui, nous avons et nous aurons des cas de plagiat dans les rendus voire dans les thèses. Le jeu du chat et de la souris n’a pas attendu ChatGPT, mais ce dernier ouvre un nouveau chapitre », reconnaît Christophe Rosenberger, directeur du Groupe de recherche en informatique, image, automatique et instrumentation (Greyc research lab) de l’Université de Caen Normandie.

Lequel ne doute pas que le temps jouera son double jeu habituel, permettant de détecter des cas de fraude passés d’un côté, apportant de l’autre des outils plus performants pour contourner les règles.

Sur la corde raide

Les mois passants, l’enseignement supérieur est revenu de sa crainte pour aborder avec intérêt l’émergence des IA génératives, voire inciter les étudiants à s’en emparer. C’est le cas de la majorité des écoles de commerce (Audencia, Neoma, Rennes SB), l’ensemble des IUT, et plus encore des écoles d’ingénieurs, où interdire l’innovation technologique paraîtrait pour le moins contre nature.

Manuel Clergue est enseignant-chercheur à l’École supérieure d’informatique électronique automatique. - © Esiea
Manuel Clergue est enseignant-chercheur à l’École supérieure d’informatique électronique automatique. - © Esiea

« Ces outils ne vont pas simplement impacter l’enseignement, mais les métiers qu’exerceront nos étudiants », relève Manuel Clergue, enseignant-chercheur en informatique à l’École supérieure d’informatique électronique automatique (Esiea). Spécialisée dans le numérique, l’école d’ingénieurs s’estimait préparée à l’irruption de l’IA — « nous l’enseignons depuis plus de dix ans ». 

Elle n’en est pas moins surprise face du déferlement soudain et massif de ChatGPT, Copilot, Midjourney et consorts. « En les voyant apparaître, on se dit que, là, il s’est vraiment passé quelque chose », sourit Manuel Clergue. Dès lors, à chacun de trouver son équilibre. 

Encadrer l’usage de ces outils

« D’un côté, un ingénieur informatique doit être capable de faire du développement tout seul. De l’autre, il doit s’emparer de ces outils qui lui permettent déjà de coder dix fois plus vite », pèse l’enseignant-chercheur.

Le recours à un outil doit en revanche être préparé, encadré et intervenir au bon moment de l’acquisition des compétences. « Un écolier qui utiliserait sa calculatrice sans jamais avoir posé une addition à la main ne comprendrait pas les mécanismes sous-jacents des mathématiques », compare Manuel Clergue.

Ce qui n’empêche pas d’apprendre, en parallèle, à maîtriser l’art du prompt. L’autre dimension à prendre en compte s’appelle bien sûr employabilité. « Je guette les offres d’emplois pour savoir à quel moment la maîtrise des IA génératives sera exigée. Cela ne saurait tarder », confie l’enseignant de l’Esiea.

Vers des équipes augmentées

Blandine Masselin est ingénieure pédagogique à l’Université de Bordeaux depuis 2021. - © D.R.
Blandine Masselin est ingénieure pédagogique à l’Université de Bordeaux depuis 2021. - © D.R.

Du côté des universités, les grandes manœuvres ont elles aussi commencé. La Mission d’appui à la pédagogie et à l’innovation de l’Université de Bordeaux planche ainsi à la construction d’un kit pédagogique destiné à ses équipes.

« Il comprendra des exemples de prompts, des bonnes pratiques, mais aussi une liste d’outils d’IA testés et recommandés par la mission », précise Blandine Masselin, ingénieure pédagogique de l’université. Cette ressource pratique s’inscrira dans un accompagnement global, passant en particulier par la formation.

« L’idée est que chacun puisse être en capacité d’identifier les impacts de ces technologies sur ses activités d’apprentissage ou d’enseignement et d’adopter des stratégies les plus adaptées », résume Blandine Masselin.

Utiliser les méthodes de pédagogies actives

Si l’Université de Bordeaux a conscience qu’enseigner « comme avant » sera compliqué, elle cherche à déceler les effets positifs de cette révolution.

« Enseigner à l’ère de l’IA passe par l’utilisation de méthodes pédagogiques actives, expérientielles, collaboratives. Il ne s’agit plus pour un enseignant d’uniquement transmettre son savoir, mais de créer des situations d’apprentissage motivantes et adaptées aux changements sociétaux. Le métier d’enseignant peut s’enrichir fortement de ces nouvelles situations d’apprentissage ! », plaide Blandine Masselin.

Jill-Jênn Vie est chargé de recherche à l’Inria et enseignant en deep learning.  - © Alex Pilot
Jill-Jênn Vie est chargé de recherche à l’Inria et enseignant en deep learning. - © Alex Pilot

En attendant de trouver la bonne posture, les professeurs peuvent déjà remercier l’IA de leur faire gagner du temps, lorsqu’ils l’utilisent. « Imaginez le nombre de tâches rébarbatives que vous pouvez déléguer à cet outil capable de vous produire des exercices en série, des textes à trous, traduire du code comme n’importe quelle autre langue, repérer des coquilles », liste ainsi le chercheur de l’Inria, Jill-Jênn Vie dans un grand entretien.

Encore faut-il que les enseignants l’apprivoisent et disent à ce super assistant en quoi il peut leur être utile. Les étudiants, eux, ont déjà trouvé bien des usages pour leur faciliter la vie.