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S’équiper d’un tribunal pédagogique, quel est le verdict ?

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Rejouer un procès historique, évaluer les plaidoiries des étudiants, organiser des concours d’éloquence… Les tribunaux fictifs sont des outils pédagogiques encore rares dans l’enseignement supérieur. La faculté de droit de l’Université Caen Normandie vient de s’équiper d’un tel dispositif et y voit plusieurs avantages : informer, orienter ou encore renforcer les liens avec l’univers professionnel.

L’Université Caen Normandie a inauguré son tribunal pédagogique le 8 mars 2024. - © Université Caen Normandie
L’Université Caen Normandie a inauguré son tribunal pédagogique le 8 mars 2024. - © Université Caen Normandie

L’Université Caen Normandie a inauguré, le 8 mars, son tribunal fictif. Nommé en hommage à l’alumna et pionnière dans la magistrature en France, Charlotte Béquignon-Lagarde, cet outil a été imaginé par la faculté de droit, administration économique et sociale et administration publique de l’établissement.

Des usages pédagogique, culturel et scientifique

Un cabinet où s’assoient le juge et les magistrats, une barre d’audience et des fauteuils pour le public… le tout dans une salle de cours ! Ce tribunal fictif revêt avant tout un usage pédagogique : il pourra servir en TD pour étudier la procédure pénale, pour s’entraîner à la plaidoirie en master, rejouer un procès historique…

Florent Petit est doyen de la faculté de droit de l’Université Caen Normandie. - © Université Caen Normandie
Florent Petit est doyen de la faculté de droit de l’Université Caen Normandie. - © Université Caen Normandie

Il s’adresse à tous les étudiants dès la première année de licence pour reconstituer une audience et les différents métiers associés. « Ce sera un outil d’information et d’orientation pour les étudiants qui pourront endosser différents rôles et se projeter dans leur future profession », note Florent Petit, doyen de la faculté de droit et professeur en droit privé et sciences criminelles de l’établissement.

Il accueillera également des activités culturelles et scientifiques pour un public plus large. « Cela pourrait être à l’occasion de la Nuit du droit ou de la Fête du droit », envisage Florent Petit.

Néanmoins pour la prochaine Fête du droit du 11 au 15 mars 2024, le tribunal pédagogique n’accueillera pas encore de public, en raison d’une capacité d’accueil insuffisante pour y tenir des conférences.

Accueillir les associations étudiantes

Les associations étudiantes auront, elles aussi, la possibilité d’utiliser le tribunal pédagogique. « Nous sommes en discussion avec l’association Lex Cadomus qui organise le concours Élocaence pour que certaines épreuves se tiennent dans cette salle », indique le doyen de la faculté de droit.

Une innovation pédagogique initiée par les universités de Montpellier et de Lille

D’après les informations fournies sur la plateforme « Lieux inspirants de l’ESR » du ministère de l’ESR, les universités de Montpellier et de Lille sont les premières en France à avoir proposé, en 2022, un tribunal pédagogique.

 « Justitia », la salle pensée par la faculté de droit et le centre de soutien à l’innovation pédagogique de l’établissement occitan, reproduit la configuration d’une salle d’audience et accueille également concours de plaidoiries et d’éloquence.

La salle Justitia permet de se connecter avec d’autres universités, pour que les étudiants collaborent entre eux. - © Université de Montpellier, Guylain Clamour
La salle Justitia permet de se connecter avec d’autres universités, pour que les étudiants collaborent entre eux. - © Université de Montpellier, Guylain Clamour

Elle a la particularité d’être équipée d’un double système de visioconférence, pour favoriser les exercices avec les étudiants d’autres établissements. « Une collaboration est déjà en place avec l’Université Paris 2 », peut-on lire sur la plateforme Lieux inspirants.

De son côté, l’université nordiste parle de salle de procès simulé. Cette dernière est dotée d’un dispositif d’enregistrement vidéo et audio qui permet d’enregistrer des simulations et de les retransmettre en direct sur l’écran d’un amphithéâtre ou d’une salle équipée. 

En juin 2022, la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales y a organisé un événement phare : le procès fictif de son doyen.

Des équipements qui permettent plusieurs configurations

Le tribunal de l’Université de Lille permet également des simulations professionnelles : entretiens d’embauche, négociations, conseils d’administration… Il se transforme, grâce à un mobilier évolutif, en espace de travail collaboratif.

À l’Université de Montpellier, la modularité de la pièce permet également d’opter pour une autre configuration : une salle de commission semblable à celle de l’Assemblée nationale, pour les étudiants en sciences politiques.

La salle de procès simulé de l’Université de Lille peut également être transformée en espace de travail collaboratif. - © Université de Lille-FSJPS
La salle de procès simulé de l’Université de Lille peut également être transformée en espace de travail collaboratif. - © Université de Lille-FSJPS

Susciter l’envie d’assister à de vrais procès

« L’objectif, c’est aussi d’avoir un lieu qui redonne le goût aux étudiants d’aller vers de vraies juridictions, dont ils ont du mal à retrouver le chemin depuis le Covid », expose Florent Petit. Assister à un procès est une possibilité ouverte à tous, mais cela demande une démarche volontaire de l’étudiant : pour se renseigner sur les audiences de chaque juridiction, trouver un créneau qui entre dans son emploi du temps…

« Avoir cet outil au sein de l’université permet d’articuler les activités pédagogiques en lien avec l’emploi du temps. Mais cela reste un complément qui ne remplace pas l’intérêt des vraies audiences », souligne le  doyen de la faculté de droit de Caen Normandie.

Renforcer le lien avec l’univers professionnel

Le tribunal pédagogique caennais accueillera magistrats, avocats et greffiers. - © Université Caen Normandie
Le tribunal pédagogique caennais accueillera magistrats, avocats et greffiers. - © Université Caen Normandie

À l’origine de ce tribunal fictif, un constat : maintenir un lien continu avec les professionnels du droit et des administrations devient de plus en plus crucial.

« Chaque année, pour faire évoluer les formations, un conseil de perfectionnement se réunit. Il s’est dégagé la nécessité de mettre l’accent sur une mise en pratique plus adaptée au contexte professionnel. Un sujet qui avait fait l’objet de demandes d’étudiants souhaitant une plus grande immersion dans le monde du travail », raconte Florent Petit.

S’en est suivi un an et demi de travail et de discussions avec des magistrats, avocats et greffiers. Aujourd’hui, plusieurs intervenants extérieurs ont déjà prévu de dispenser leurs enseignements dans cette salle de classe particulière. C’était aussi l’un des objectifs de l’inauguration du 8 mars : « convaincre d’autres professionnels d’y intervenir », rapporte le doyen de la faculté de droit.

Comment concevoir ce lieu et pour quel prix ?

Pour réaliser sa salle d’audience fictive, l’Université Caen Normandie a sollicité l’avis du barreau de Caen et de magistrats. La barre d’audience en bois a été réalisée par un menuisier, à partir de plans imaginés en interne. Le tout pour un budget de 15 000 €. « Des dépenses sont encore à prévoir, notamment pour acheter des fauteuils qui ont été empruntés à l’occasion de l’inauguration, pour un montant total qui devrait s’élever à 30 000 € », détaille Florent Petit. L’établissement n’a pas bénéficié de subventions spécifiques.

Le tribunal pédagogique de l’Université de Montpellier a été conçu avec l’aide d’un architecte, pour un montant de 90 000 €. Il a bénéficié d’un appel à projets en soutien aux équipements innovants, lancé par l’établissement dans le cadre de l’I-Site Muse.

L’Université de Lille a financé sa salle de procès simulé à partir de fonds propres, du label I-Site Université de Lille Nord Europe et de financements de la Métropole européenne de Lille.