Vie des campus

Le budget 2024 du ministère de l’enseignement supérieur cristallise les tensions

Par Isabelle Cormaty | Le | Stratégies

Dans un contexte budgétaire tendu, le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche affiche une hausse de 3,2 % pour 2024. Mais les crédits supplémentaires ne pourront compenser ni la totalité les mesures de revalorisation des agents publics annoncées en juin, ni l’augmentation des prix de l’énergie. Des efforts supplémentaires qui ne passent pas pour les présidents d’université.

L’examen du PLF 2024 a commencé à l’Assemblée nationale le 10 octobre. - © News Tank
L’examen du PLF 2024 a commencé à l’Assemblée nationale le 10 octobre. - © News Tank

Les parlementaires ont entamé le 10 octobre leur marathon annuel : l’examen du projet de loi de finances (dit PLF) qui présente les recettes et les dépenses prévues par le Gouvernement pour l’année 2024. Un texte majeur qui devra être entériné avant le 22 décembre pour permettre à l’État de payer ses agents et maintenir le fonctionnement des services publics. 

Un budget en légère hausse de 3,2 %

Le projet de loi de finances pour 2024 a été présenté le 27 septembre. - © Erol Yolal
Le projet de loi de finances pour 2024 a été présenté le 27 septembre. - © Erol Yolal

Sixième budget de l’État, le ministère de l’enseignement supérieur affiche un budget 2024 en augmentation de 3,2 % par rapport à l’an dernier. Les crédits qui lui sont alloués s’élèvent à 26,6 milliards d’euros, soit 818 millions d’euros en plus, hors financements issus du Programme d’investissements d’avenir et de France 2030, d’après les éléments présentés le 27 septembre par Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, respectivement ministres de l’économie et des comptes publics.

À ces crédits s’ajouteront les recettes liées à la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) versées aux établissements d’enseignement supérieur (universités et écoles) et aux Crous. Estimées à 170 millions d’euros pour 2024, ces moyens « continueront à financer des actions en faveur de l’accueil et de l’accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des étudiants ainsi que des mesures de prévention et d’éducation à la santé. »

Quelles sont les priorités du ministère en 2024 ?

Le budget 2024 du ministère affiche quatre priorités :

  • « aider plus et aider mieux les étudiants » ce qui passe par l’octroi de 550 millions d’euros supplémentaires notamment pour la première phase de la réforme des bourses ;
  • « soutenir la recherche et les chercheurs » dans le cadre de l’application de la Loi de programmation de la recherche 2021-2030;
  • « accompagner les transformations des établissements d’enseignement supérieur du MESR et poursuivre l’adaptation de leur offre de formation » avec 100 millions d’euros supplémentaires pour les Contrats d’objectifs, de moyens et de performance ;
  • « accompagner les établissements et soutenir leurs projets face à la hausse des charges » (215 M€).

Sylvie Retailleau demande aux établissements du sup’ de faire des efforts. - © MESR
Sylvie Retailleau demande aux établissements du sup’ de faire des efforts. - © MESR

En clôture du congrès de France Universités le 30 août, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau a confirmé que les universités sont concernées par le prélèvement d’excédents de trésorerie sur leur fonds de roulement. Et que la hausse du point d’indice annoncée en juin ne sera compensée que partiellement par l’État. 

« Le budget de notre ministère, même en augmentation, ne permettra pas de couvrir la totalité de ces mesures, ni en 2023, ni en 2024, et il vous sera demandé de contribuer sur ces deux années avec un effort que je sais difficile et qui sera travaillé pour chaque établissement avec le ministère », a-t-elle affirmé devant les présidents d’université.

Un budget critiqué par les présidences d’université

Guillaume Gellé a été auditionné devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée le 27 septembre. - © D.R.
Guillaume Gellé a été auditionné devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée le 27 septembre. - © D.R.

Auditionné devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale le même jour que la présentation du budget, le président de France Universités Guillaume Gellé a souhaité « tirer le signal d’alarme » sur la non-compensation totale des mesures de revalorisation salariale des agents publics, dites Guerini, annoncées en juin dernier.

« La facture finale que nous découvrirons dans le PLF devrait dépasser les 150 millions d’euros. Cela s’ajoute aux 200 millions d’euros de 2022 et aux 130 millions de 2023 non compensés, alors que nos universités sont frappées de plein fouet par l’inflation et l’augmentation des factures énergétiques. »

« Nous pensons à France Universités que nous n’avons pas les moyens de répondre aux attentes du pays. Depuis 2006, nous notons une baisse de 20 % des financements des études par étudiant. Nous avons appelé il y a plusieurs mois à une loi de programmation de l’enseignement supérieur, pendant de la LPR. Il faut donner de la visibilité à l’université pour se projeter sur le long terme », déclare le président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

Concernant les 550 millions d’euros prévus dans le budget 2024 pour la rénovation du parc immobilier de l’État, le président de France Universités précise : « Nous sommes très loin des besoins estimés à minima à 7 milliards d’euros par l’État lui-même pour les seules universités. »

Des budgets 2023 tous en déficit ?

Le 20 septembre, lors de la conférence de presse d’Udice, l’association qui regroupe dix universités de recherche intensive, le président de l’Université de Bordeaux, Dean Lewis alertait déjà : « La grande majorité des universités vont être en déficit à la fin de l’année 2023, il y en avait 18 ou 19 fin 2022. Et ça, ce n’est pas vraiment un gage d’autonomie, car quand vous êtes en déficit à un moment l’État reprend la tutelle de l’université. »

Michel Deneken préside Udice. - © Université de Strasbourg/Catherine Schröder
Michel Deneken préside Udice. - © Université de Strasbourg/Catherine Schröder

Pour le président d’Udice, Michel Deneken, ces difficultés s’expliquent par « l’inflation, l’énergie qui n’est pas revenue dans ses prix d’avant et qui n’y reviendra jamais, les mesures Guerini ».

« Nous avons des budgets difficiles à boucler et qui, dans un ou deux ans, seront pratiquement tous en déficit. On nous parle d’un milliard d’euros dans nos fonds de roulement, mais, divisé par 72 universités, ce n’est pas une somme gigantesque. Et on a beau faire des économies, dans un ou deux ans, ça ne sera plus possible », prévient celui qui est par ailleurs président de l’Université de Strasbourg.

Plusieurs universités ont déjà annoncé clôturer l’année 2023 en déficit, comme à l’Université de Tours. « L’année 2022 s’est soldée par un résultat financier de -2,67 millions d’euros, et pour 2023, nous estimons ce déficit à -4,8 millions », indique le président de l’établissement, Arnaud Giacometti le 26 septembre. 

Le budget initial 2024 de l’Université Bretagne Sud sera aussi en déficit, explique sa présidente Virginie Dupont : « Cela fait plusieurs années que nous faisons cela, pour mettre en évidence le non-accompagnement de l’État sur le glissement vieillissement technicité. Et avec la non-compensation des mesures Guerini, nous craignons un impact sur la campagne d’emploi. Mais cela ne nous empêchera pas d’en avoir une, à la fois ambitieuse et prudente, notamment sur nos projets stratégiques. »

« Un manque criant d’investissement et d’ambition pour l’ESR »

Frédéric Marchand est secrétaire général de l’Unsa. - © D.R.
Frédéric Marchand est secrétaire général de l’Unsa. - © D.R.

De son côté, le syndicat Unsa observe « que le budget prévu en 2024 pour le programme 150, qui concerne directement les établissements d’enseignement supérieur et de recherche (universités, écoles), est le plus faible qu’un gouvernement ait proposé depuis 2010 ! »

« Alors que le nombre d’étudiantes et d’étudiants n’a jamais été aussi élevé, que les besoins de progrès scientifiques n’ont jamais été aussi cruciaux et que les opérateurs éprouvent déjà de fortes difficultés financières, l’État s’apprête à hypothéquer gravement l’avenir de notre société par un manque criant d’investissement et d’ambition pour l’ESR », fustige le 3 octobre le syndicat qui soutient la mise en œuvre une allocation universelle d’études.

Les aides en faveur de l’apprentissage maintenues

Le Gouvernement maintient pour 2024 les aides en faveur de l’apprentissage « avec l’objectif d’atteindre le million d’entrées annuelles d’ici la fin du quinquennat » en 2027, indique Bercy dans sa présentation du PLF 2024. Hors contrats de professionnalisation, les crédits de paiement inscritspour les aides à l’embauche d’alternants s’élèvent à 3,9 milliards d’euros.

Une allocation d’études pour tous les étudiants réclamée

Quelques jours avant la présentation du budget, 14 présidents d’université ont demandé la mise en place d’une allocation d’études universelle, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 19 septembre. Pour les signataires, les bourses et les aides exceptionnelles du Gouvernement « ne suffisent à juguler la pauvreté étudiante ou à permettre un accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur »

« La création d’une allocation d’études pour tous permettrait de réduire les inégalités socio-économiques, mais aussi les effets de ruptures familiales, favorisant ainsi l’accès aux études supérieures et la cohésion sociale », expliquent-ils dans la tribune. 

Le rapport sur la réforme des bourses attendu

Alors que le rapport de Jean-Michel Jolion sur la réforme des bourses doit être publié courant octobre, la ministre de l’enseignement supérieur a déjà fait savoir qu’une allocation universelle n’était pas à l’ordre du jour. 

« Quand vous avez deux sujets qui sont d’une part l’autonomie et d’autre part la précarité, en politique, on doit donner des priorités, surtout dans le contexte actuel d’inflation. La priorité c’est de combattre la précarité des étudiants », a-t-elle rétorqué sur France Info le 20 septembre. 

Nathalie Drach-Temam est présidente de Sorbonne Université. - © Laurent Ardhuin
Nathalie Drach-Temam est présidente de Sorbonne Université. - © Laurent Ardhuin

Désaccord entre universités sur le timing

À noter qu’aucun membre du bureau de France Universités ne figure parmi les signataires de la tribune. « Nous ne sommes pas forcément d’accord sur le timing, mais on l’est sur le sujet de la vie digne et de la précarité », analyse Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université et signataire.

De son côté le vice-président de France Universités, Dean Lewis se demande « si l’on peut en parler maintenant, à contretemps des discussions sur le budget des universités. Tous les présidents [d’université] pourront vous dire qu’ils sont favorables à ce dispositif. Mon point de vue était d’attendre que l’on ait, d’une part le timing, et de l’autre, le chiffrage. »

Quel est le poids des universités dans le débat public ?

À la lumière de ces difficultés budgétaires et des débats entre établissements du supérieur, les universités et grandes écoles peuvent-elles se faire entendre ? Pour le consultant en communication, Manuel Canévet, « les universités ont du mal à parler d’une même voix. » 

Dans un entretien à News Tank (en libre accès), il indique néanmoins que le « message est passé : les universités sont atterrées par ces décisions. Ce qui est flou, c’est de connaître l’ampleur de leur détermination à ne pas se laisser faire. Le débat sur le fond de roulement est technique. C’est d’ailleurs là-dessus que mise le gouvernement pour épuiser toute résistance. Alors que le débat sur l’allocation, c’est-à-dire celui sur la précarité, parle aux étudiants, aux familles. »

« Il faudrait pouvoir porter un discours offensif et global sur la place de l’université dans la société française, son rôle pour le rang de la France dans le monde, sa capacité à répondre aux défis sociétaux (transition, technologie, psychologie, santé…) », suggère-t-il.