[Tribune] « Pour une souveraineté éducative offensive et réaliste »
Dans une tribune pour Campus Matin, la déléguée générale d’EdTech France, Orianne Ledroit appelle les pouvoirs publics à soutenir le savoir-faire français et européen de la filière edtech matière de edtech et à en faire un critère d’achat pour l’Etat et les grandes entreprises.
Le mot souveraineté [technologique] est à la mode.
C’est un mot fourre-tout. Ses contours flous assurent sa réussite. Chacun comprend ce qu’il souhaite. Chacun projette ses représentations du monde, ses valeurs, ses désirs même.
C’est également un mot intention. Il emplit davantage les discours qu’il ne se concrétise en actes.
Il devient parfois mot projectile au nom duquel certaines décisions peuvent être imposées. Décrypter ce mot devient donc une nécessité.
La définition première du concept de souveraineté est la suivante : c’est le “caractère d’un État qui n’est soumis à aucun autre État”. À l’heure des bigtech (lisez l’ouvrage passionnant de Asma Mhalla Technopolitique), par extension, la souveraineté est le caractère d’un “État qui n’est soumis à aucun autre État ni à aucune bigtech étrangère”.
Transposée à la filière edtech, cette indépendance pourrait couvrir plusieurs dimensions distinctes.
Les multiples dimensions de la souveraineté
D’abord, la souveraineté d’infrastructures : les technologies éducatives s’appuient sur des infrastructures françaises ou européennes et des outils strictement français ou européens.
Ensuite, la souveraineté du capital : le capital d’une edtech est majoritairement détenu par des acteurs français ou européens.
Enfin, la souveraineté de production ou « Made in France / in Europe » : les standards et produits technologiques sont « fabriqués » en France ou en Europe, par des edtech françaises ou européennes, en conformité avec nos principes fondamentaux, notre culture, nos valeurs.
À chaque fois que l’on utilise le terme “souveraineté”, il serait donc précieux de savoir à quelle dimension l’on fait référence. Au-delà, distinguer ces dimensions est un prérequis indispensable pour bâtir une conception partagée en faveur d’une souveraineté offensive car nécessaire et acceptable car réaliste.
Cette conception intègre qu’une souveraineté d’infrastructures n’existe aujourd’hui nulle part. Toutes les edtechs - par extension toutes les entreprises de la FrenchTech - ont besoin de combiner des outils qu’elles développent elles-mêmes, des outils déployés par d’autres entreprises françaises ou européennes mais aussi d’embarquer des suites collaboratives pour outiller le travail de leurs salariés ou des solutions étrangères sur certaines fonctionnalités.
C’est la réalité du marché technologique actuel. Il s’agit donc pour les pouvoirs publics de définir, en lien avec les entreprises, un cadre opérationnel qui définit un niveau de dépendance acceptable.
« La souveraineté ne se décrète pas »
Parce que - et c’est le deuxième point de notre conception - la souveraineté ne se décrète pas. A fortiori pas par le haut (l’Etat, l’Union européenne) dont les réguliers atermoiements en matière de politique industrielle du numérique expliquent largement la domination des bigtechs étrangères.
Cette conception intègre par ailleurs qu’une souveraineté capitalistique intégrale est à date ni atteignable ni même souhaitable tant elle enfermerait nos entreprises dans une posture de repli et d’auto-limitation.
Cette conception intègre enfin qu’une vision rabougrie de la souveraineté, d’une France et d’une Europe fermées sur elles-mêmes, recroquevillées, serait désastreuse. Et incohérente avec ce que portent les institutions éducatives (écoles, universités, établissements d’enseignement supérieur, organismes de formation, etc.) d’une émancipation par le savoir, par l’ouverture et par les compétences.
Les voix pures, définitives, militantes sont malheureusement des impasses pour notre pays et notre continent.
Une approche de la souveraineté par la production
C’est pourquoi, nous défendons une approche de la souveraineté par la production telle qu’elle a été définie précédemment. Une approche réaliste mais ambitieuse. Une approche qui soutient le savoir-faire français et européen en matière de edtech.
Avançons donc en faveur de cette souveraineté de production, condition d’une réelle souveraineté éducative et cognitive.
Faire du « Made in France » un critère d’achat
Faisons du “Made in France / in Europe” un critère d’achat pour les pouvoirs publics et les grandes entreprises. À fonctionnalités identiques, les solutions edtechs françaises ou européennes doivent l’emporter sur des concurrents étrangers. Nous en avons déjà défendu l’utilité dans cette tribune.
Soutenons de vraies conditions de marché
Soutenons de vraies conditions de marché propres à consolider la filière edtech pour favoriser l’émergence de champions français et européens, de l’enseignement scolaire jusqu’à la formation tout au long de la vie.
Agir ainsi contribuera à notre plus grande souveraineté d’infrastructures et de capital. Parce que c’est aussi ça la spécificité de cette filière : l’éducation et la formation sont le défi socle de notre pays, celui que nous devons relever pour pouvoir imaginer relever les autres. Sans performance éducative, pas d’ambition technologique. Sans formation généralisée et efficace, pas d’ambition technologique non plus.
La filière edtech développe cette nouvelle génération d’outils numériques dont nous avons besoin tout au long de la vie pour mieux apprendre, mieux se former, mieux se re-former.
Elle contribue à l’élaboration des standards des apprentissages par les technologies en conformité avec nos principes fondamentaux, nos valeurs, notre histoire.
Et c’est sans doute l’un des actifs les plus stratégiques dont notre pays et notre continent peuvent se prévaloir pour garantir effectivement notre indépendance d’aujourd’hui, de demain et même, notre démocratie.