Comment continuer à faire de la recherche malgré mes cours ?
Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts
Après un été chargé à préparer une rentrée hybride et avancer sur une recherche qui a parfois pris du retard, il est plus que jamais compliqué pour les enseignants-chercheurs d’organiser leur emploi du temps. Voici quelques conseils, généraux comme spécifiques au distance learning, pour essayer d’allier cours et recherche.
Jean-François Parmentier est ingénieur pédagogique à INP-ENSEEIHT. Il est également auteur avec Quentin Vicens d’Enseigner dans le supérieur : Méthodologie et pédagogies innovantes (2019), et de 4 scénarios pour enseigner ou former à distance (2020, PDF gratuit téléchargeable ici).
Quentin Vicens est aussi auteur d’un article reprenant 10 conseils clé pour équilibrer recherche et enseignement. Tous deux partagent leur apprentissages en matière d’organisation, à destination des enseignants-chercheurs.
« Ne réinventez pas la roue ! »
Pour la plupart des matières, des ressources pédagogiques ont déjà été produites. Cela vaut donc la peine de faire un peu de recherche afin de décider lesquelles utiliser. « S’il y a déjà un livre ou un document qui existe sur votre sujet : utilisez-le », préconise Jean-François Parmentier.
Il cite Scholar Vox, une bibliothèque numérique, comme source potentielle de documentation. « Un bon moyen de limiter la création de ressources qui est très chronophage ».
« Nous aimons particulièrement les ressources de la Carl Wieman Science Education Initiative, qui comprennent les bases théoriques et pratiques de la bonne construction d’un cours, tout en proposant également des banques de données d’activités liées à de nombreuses disciplines à mettre en place dans le cadre de pédagogies actives », souligne également Quentin Vicens.
De la même manière, « apprenez à être à l’aise avec les fonctionnalités de votre environnement numérique de travail, qui vous permettront de gagner en organisation et donc en temps, qui peut ensuite être mis à profit pour la recherche », ajoute Quentin Vicens.
« Fixez-vous des caps aussi bien en enseignement qu’en recherche »
Des plages horaires spécifiques à l’enseignement et à la recherche
C’est bien connu, les notifications sur téléphone ou ordinateur déconcentrent. C’est pourquoi « il vaut mieux réserver des plages horaires pour consulter ses emails », propose Jean-François Parmentier.
« De façon générale, planifiez votre semaine en réservant des plages horaires spécifiques à l’enseignement et à la recherche, en évitant de sacrifier le temps de l’un pour accomplir l’autre. Si votre premier découpage ne s’avère pas optimal, vous pouvez toujours réajuster pour la semaine suivante », suggère Quentin Vicens.
Surtout que cet arrangement peut nécessiter d’être ponctuellement ajusté afin de prendre en compte les périodes d’examens et les corrections à effectuer, tout comme les montages de demandes de financement.
« Comme on l’entend un peu partout - et à juste titre -, pensez SMART goals ! », rappelle Quentin Vicens. Établissez vos objectifs à court (jour et semaine), moyen (mois, trimestre) et long terme (année, 5 ans, etc.)« .
« Publish and flourish »
L’expression que connaissent bien les chercheurs « publish or perish » (publiez ou périssez), peut être inversée et devenir « publish and flourish » (publiez et prospérez), à condition de revoir sa façon d’écrire des articles.
Jean-François Parmentier et Quentin Vicens sont unanimes :
« Ce qui marche bien est d’écrire un peu tous les jours. 30 minutes suffisent. Le temps d’écrire un paragraphe, ou d’éditer celui de la veille (prévoyez l’un ou l’autre), ou bien d’insérer une illustration, ou encore d’ajouter des références bibliographiques. Toute tâche qui permet directement de faire avancer votre manuscrit compte. Pour s’y astreindre, une technique est d’inscrire ces 30 minutes quotidiennement dans son calendrier, sans distractions. »
Jean-François Parmentier suggère également : « Une autre motivation peut être d’envoyer votre production à un collègue de façon à ce qu’il vérifie que vous vous êtes tenu à votre objectif ».
Et Quentin Vicens d’ajouter : « Dans certains cas, il est également possible à l’enseignant-chercheur d’injecter son propre sujet de recherche dans ses cours, ce qui peut servir le triple objectif de faciliter la préparation des cours et des examens, de développer ses capacités à présenter devant un public, et de recruter des étudiants dans son labo ! ».
Continuez à publier sur vos travaux précédents
Emmanuel Caillaud est conseiller enseignement supérieur, recherche et innovation au service de coopération culturelle à l’ambassade de France en Chine depuis janvier 2020. Il a été professeur des universités pendant 18 ans à l’université de Strasbourg, il partage son expérience dans son Petit guide de survie de l’enseignant-chercheur (2020) dont Campus Matin vous a déjà parlé.
Publier sur ses travaux précédents
« Particulièrement la première année, il est difficile de continuer à faire de la recherche en période de rentrée. Le meilleur moyen de continuer à être productif, c’est de publier sur ses travaux précédents, de continuer à écrire et à corriger des papiers », conseille-t-il.
En plus de cela, « il faut essayer de trouver un moment pour amorcer de nouveaux projets de recherche. La première année c’est de la survie », résume-t-il.
De manière générale, Emmanuel Caillaud estime qu’il est très difficile d’avancer dans ses recherches les premiers mois.
Son idée est donc de ne pas perdre pied sur les papiers en cours, et préparer le terrain pour le deuxième semestre durant lequel il sera possible de dégager plus de temps.
Trouvez le bon équilibre
La tendance générale veut que la charge des enseignements augmente au fil des années. Toute la difficulté est alors de trouver le rythme adéquat.
« Il est de plus en plus difficile de se libérer des journées entières alors essayez de saisir des demi-journées libres », dit le chercheur.
« Inutile de se lancer sur un nouveau projet de recherche lorsqu’on a deux heures entre les cours : il faut plus de temps pour véritablement avancer dans un travail de cette envergure ».
Mais attention, il est également impératif de savoir se reposer. « Autant que possible, il faut éviter de travailler les week-ends et la nuit. Ce qui n’est pas toujours aisé. Que l’on se repose ou on fasse de longues heures, il s’agit surtout de ne pas culpabiliser ».
Négociez des délais
Et pour réussir à avancer, le secret : savoir dire non. « Essayez d’apprendre aux étudiants et à l’administration à respecter des limites. N’hésitez pas à repousser les deadlines s’il n’est pas possible de les respecter et négociez des délais. C’est préférable que de ne pas réussir à faire les choses à temps, sans avoir prévenu. En tant qu’enseignants-chercheurs, nous sommes soumis à une pression permanente, souvent nous nous créons des charges mentales nous-même : soit parce qu’on n’a pas dit non, soit parce qu’on n’a pas demandé de délais ».
Organiser un enseignement à distance
En enseignement distanciel, ne pas se laisser déborder est une autre paire de manches !
Plus encore lorsqu’il faut jongler entre le virtuel et le présentiel. Jean-François Parmentier vient de sortir, avec Quentin Vicens, un livret gratuit dans lequel ils identifient quatre scénarios possibles et conseillent les enseignants-chercheurs dans chaque cas de figure.
Ils rappellent dans un premier temps que le « 100 % visioconférence ne fonctionne pas, le côté présentation d’un sujet, comme en cours magistral, perd l’attention des élèves ».
Pas le choix, on opte pour l’une des deux variantes : « rendre le cours plus interactif ou lui faire prendre une forme qui se rapproche plus de la classe inversée ». Ce qui est également « une façon de réduire le temps de préparation de la partie cours ».
En effet, les supports sont à préparer en amont et les outils à prévoir en avance. « Une fois le contenu et les supports choisis, il ne reste qu’à prévoir ce qu’on fait autour ». Pour que la préparation ne soit pas trop chronophage « ne cherchez pas à faire du parfait ».
Jean-François Parmentier, qui recommande l’utilisation de questions à choix multiples, en instantané, considère qu’en projeter trois à l’écran, en 1h45, est suffisant. A chaque fois, il s’agit d’afficher la question, de laisser aux étudiants deux minutes pour réfléchir puis de les faire voter.
Pour favoriser l’interaction, il est par la suite possible de les faire débattre.
« Créer une vidéo est aussi une bonne idée, et puis c’est une façon de gagner du temps par la suite : en la réutilisant les années suivantes ».
Réaliser une vidéo sans se laisser déborder
Inutile de chercher à faire long : « Une bonne vidéo doit être courte et ciblée, elle ne doit pas durer plus de six minutes dans un Mooc. Dans un cours, on peut imaginer une réalisation qui dure jusqu’à 15 minutes mais dans ce cas, inutile de faire très technique : de simples slides commentées fonctionnent bien », indique Jean-François Parmentier.
Il est également intéressant d’avoir l’image de l’enseignant qui réapparait de temps en temps « mais ce n’est pas obligatoire, car affichée trop souvent elle distrait l’attention des slides ».
Des outils pour se faciliter la vie
Qui dit digital learning, dit outils technologiques. De la plus simple à la plus poussée, il existe des solutions pour être plus à l’aise et gagner du temps à la préparation de classe virtuelle.
- Tablette graphique : « Si vous êtes habitués à écrire au tableau en présentiel, une tablette graphique peut être un bon investissement. Elles se présentent pour certaines sous forme d’écran sur lequel on peut écrire avec un stylet ».
- Avec Zoom, faire une vidéo : « Il est possible de lancer une réunion seul et de s’enregistrer, pendant 10 min 15 min, puis éventuellement d’écrire dessus avec une tablette graphique. Ce qui prend presque autant de temps que si on le faisait en présentiel ».
- Avec un logiciel Powerpoint, également, vous pouvez « enregistrer des diapositives et du son afin d’en faire une vidéo, qui sera utilisable en cours ou dans un modèle de classe inversée ».
Evaluer
C’est un point clé à envisager en avance. « Selon les universités, les évaluations se font en distanciel mais, le plus souvent en présentiel », dit Jean-François Parmentier.
Cependant, dans le cas d’une évaluation digitale, il est recommandé de « privilégier l’oral individuel, de durée courte, qui prendra autant de temps que de corriger une copie ».
Demander aux étudiants de déposer des vidéos
L’avantage ? « La correction, particulièrement avec une grille de critères, ne prend que deux minutes, mais surtout c’est le seul moyen de limiter la triche ». Et si la visioconférence synchrone n’est pas envisageable : « Il est possible de demander aux étudiants de déposer des vidéos. Il y a un risque qu’ils se fassent aider, mais, pour certains exercices, cela peut être une option ».
Qu’importe la manière d’évaluer, il est primordial de « penser à la façon dont on va corriger, une partie du travail d’enseignant qui demande beaucoup de temps ».
Afin d’alléger la charge de travail, une partie de l’évaluation peut prendre la forme d’un questionnaire à choix multiples, qui se corrige automatiquement.
Un moyen efficace : l’évaluation par les pairs
« Il n’est pas nécessaire de faire tout l’examen en QCM, seulement une partie, par exemple un quart », prévient Jean-François Parmentier.
« Un autre moyen efficace est l’évaluation par les pairs : les étudiants se notent entre eux, en ligne. Pour cela, les copies sont anonymes et on préconise que chacune soit évaluée par trois personnes. Encore une fois, seule une partie de l’évaluation peut être corrigée de cette façon ».
Et pour les devoirs ?
Si donner des exercices aux étudiants et les récupérer par la suite est un bon moyen pour s’assurer de leur implication, cela peut rapidement devenir ingérable.
« L’enseignant n’est pas obligé de tout lire, il n’a qu’à corriger et noter dix copies aléatoires par groupe à chaque TD et faire un retour global aux étudiants sur les erreurs qu’il a observées », suggère Jean-François Parmentier.